« La couche est pleine » : les crèches au bord de la crise de nerfs

Des milliers de professionnelles du secteur de la petite enfance ont manifesté jeudi contre la solution donnée par l’Etat de résoudre le manque de personnels par l’embauche de personnes non-qualifiées.

« La petite enfance, c’est pas pour tout le monde ! », ont scandé à l’unisson les manifestants. Jeudi 6 octobre, à l’appel d’une journée de grève du collectif « Pas de bébés à la consigne » et de l’ensemble des syndicats du secteur de la petite enfance, plusieurs milliers de manifestantes, principalement des professionnelles qualifiées en crèche, se sont réunies dans une soixantaine de villes en France. Elles espéraient faire entendre leur fatigue, la dévalorisation de leur métier, le manque d’effectif… En somme, leur ras-le-bol généralisé.

Déjà en crise depuis quelques années, ce secteur essentiellement féminin, peine à recruter de nouvelles puéricultrices. Afin de résoudre ce problème, l’Etat a autorisé, par un arrêté publié le 29 juillet, l’ouverture de postes à des personnes n’ayant pas de diplômes spécialisés. « Leurs expériences professionnelles passées » et « leur motivation à participer au développement de l’enfant » seront simplement prises en compte. Les formations se feront via un « accompagnement de 120 heures » sur le lieu de travail. Une décision que les professionnelles jugent indécente et « dévalorisante » pour le métier. 

Selon une enquête de la Caisse nationale des allocations familiales publiée en juillet 2022, 48,6% des crèches collectives observent un manque de personnel. Au 1er avril 2022, 8 908 postes étaient déclarés vacants ou non remplacés, soit un manque de professionnels de 6,5 à 8,6% de l’effectif total du secteur. Lors d’une manifestation jeudi, place Arnaud Bernard à Toulouse, elles étaient près d’un millier à réclamer plus de moyens. « Dans ma crèche, il manque quelqu’un pour le ménage. On doit donc le faire, alors qu’on est déjà en sous-effectif pour surveiller les enfants » explique Maïlis, auxiliaire dans une crèche du nord de la ville.

Flux tendu

Selon la loi, le taux d’encadrement en crèche doit être d’un encadrant pour cinq enfants qui ne marchent pas et d’un encadrant pour huit enfants marchant. Mais même cette limite légale, quand elle est respectée, semble déjà trop importante : « Sur le papier, on peut s’occuper de 10 enfants à deux, illustre Sophie Chamas, directrice de la crèche Croc’sourires à Eaunes (Haute-Garonne), mais dans la réalité, quand l’une s’occupe d’un bébé malade, l’autre doit s’occuper de tous les autres. On le fait, mais en rognant la qualité. ». 

Les enfants en bas âge ressentent alors le stress des auxiliaires. « Le soir, quand je ramène mon enfant de la crèche, il est fatigué, énervé et tendu », abonde Isabelle, elle-même auxiliaire en crèche et maman de Jean, 2 ans. Elle ne peut pourtant blâmer « les filles » qui s’occupent de son fils, connaissant la difficulté de la tâche.

La fatigue du personnel, autant physique que mentale, ne fait alors que croître pour le personnel. Sophie Chamas avoue parfois mettre des bouchons d’oreille afin d’atténuer les cris et les pleurs des enfants. « Mon seul moyen de décompresser, c’est de rentrer chez moi, je me crois dans un autre monde » expose-t-elle. Vient également la question de la valorisation salariale. Aujourd’hui, après 15 ans d’expérience en tant que cadre, la directrice de crèche déclare ne toucher que 1 800 euros par mois. « Cadre c’est juste sur le papier, puisque je suis constamment avec les enfants » ironise-t-elle.

Une question remplie d’interrogations

Pour les syndicats et les professionnelles mobilisées, la seule solution serait un effectif, à la hauteur du nombre d’enfants, et surtout de qualité, rejetant ainsi la réponse de l’Etat d’ouvrir les postes à un personnel non-qualifié. « On ne nous donne pas plus de moyen, on va devoir former une personne alors qu’on a déjà un travail monstre. Ils ne prennent pas en compte les besoins de l’enfant », affirme Sophie Chamas.

Une réponse qui interroge également sur la qualité des prochains nouveaux venus, embauchés expressément. « A qui vais-je laisser mon bébé ? » se demande une maman.

Depuis plusieurs mois, fleurissent déjà des témoignages d’enfants délaissés voire maltraités en crèche. Le 22 juin 2022, une fillette de 11 mois a été retrouvée morte après avoir ingéré un produit toxique dans une crèche privée du groupe « People & Baby » dans le 3e arrondissement de Lyon. Une auxiliaire-puéricultrice de 27 ans est suspectée d’avoir fait ingérer du produit caustique déboucheur de toilettes, après avoir « pété un plomb ». Elle a été mise en examen pour « homicide volontaire » et placée en détention. La crèche a également été fermée définitivement. 

Dans la manifestation toulousaine, cette affaire est dans de nombreuses têtes. Romane tend une pancarte où elle a écrit « la couche est pleine ». Elle trouve l’histoire « horrible » mais tente de comprendre cette collègue qui a « disjoncté ». Plus loin, d’autres ont voulu faire écho aux récentes affaires de maltraitance dans les Ehpad. Elles ont marqué, au gros feutre noir : « Crèche =  Ehpad, même combat ». 

Adrien Bacon

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