Refus d’obtempérer et recours aux armes à feu : un phénomène qui s’intensifie

Dix personnes ont été tuées par des tirs de policiers à la suite de refus d’obtempérer depuis le début de l’année. Le dernier cas a eu lieu mercredi 5 octobre près de Grenoble. Il relance à nouveau la question de la multiplication de ce délit, devenue un sujet majeur du débat politique et sécuritaire en France.

Une jeune femme de 18 ans a été tuée par la police pendant une course poursuite après un refus d’obtempérer, dans la nuit de mardi à mercredi 5 octobre à Saint-Martin-d’Hères en Isère près de Grenoble. Des tirs par armes à feu ont été échangés entre la voiture en fuite et la police. D’après les policiers, le conducteur aurait tiré à trois reprises en direction des agents de sécurité, et tenté de leur foncer dessus. La jeune femme, passagère, a été touchée par balle au niveau du cou. Le conducteur, blessé, a été transporté au CHU de Grenoble. Quant aux policiers, aucun agent n’a été touché. Le parquet de Grenoble a confirmé les faits dans un communiqué publié mercredi matin et a ouvert une enquête pour « tentative de meurtre sur personnes dépositaires de l’autorité publique » et « refus d’obtempérer ». L’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) de Lyon a été saisie pour tenter de déterminer si le cadre légal d’ouverture du feu par les gardiens de la paix a été respecté.

Au mois de septembre, deux personnes avaient été tuées par la police après avoir, chacune, refuser d’obtempérer.

Hausse des refus depuis sept ans

Selon l’IGPN et l’Inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN), le nombre de morts en situation de refus d’obtempérer ne cesse d’augmenter. Une personne est morte en 2020, quatre en 2021 et désormais dix cette année. 

Ce chiffre peut notamment s’expliquer par la hausse du refus d’obtempérer. Un rapport du Sénat avançait déjà une augmentation de 28% entre 2015 et 2020, passant de plus de 9 000 refus à environ 13 000. En juin 2022, Sonia Fibleul, porte-parole de la police nationale, déclarait au micro d’Europe 1 qu’il y avait eu 14 250 refus d’obtempérer en 2021, et « évidemment davantage si on compte l’intégralité des forces de sécurité intérieure ». On compterait donc, en réalité, plus de 26 000 refus d’obtempérer, dont une moyenne de 21 000 cas de refus « simples », sans danger. En septembre, Laurent Nunez, préfet de police de Paris, dénonçait alors « des motifs de refus » de s’arrêter à des contrôles de police « de plus en plus futiles ». Selon les syndicats de police, les agents de terrain font face à ce délit « toutes les vingt minutes ».

Face à cette augmentation, les sénateurs ont étoffé en commission, mercredi 5 octobre, le projet de loi d’orientation de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi) pour alourdir, entre autres, les peines liées au refus d’obtempérer : passer de deux à trois d’emprisonnement, et doubler le montant de l’amende, passant à 30 000 euros.

Hausse des tirs depuis la loi de 2017

En 2021, policiers et gendarmes ont tiré dans près de 200 situations de refus d’obtempérer par les automobilistes, soit dans 0,76% des cas d’après le ministre de l’Intérieur. Ce délit est aujourd’hui le principal motif pour lequel les policiers utilisent leur arme de service. 

Outre la hausse des refus d’obtempérer, une autre explication du phénomène se trouve dans la réglementation. Depuis la loi de 2017, les policiers qui tirent peuvent se prévaloir de l’« anticipation » d’un risque futur. L’article 435-1 du code de la sécurité intérieure dispose que les agents sont fondés à utiliser leur arme sur les véhicules « dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Cette notion plus permissive de légitime défense autorise un agent de décider, au moment où il tire, qu’il a le sentiment que le véhicule pourrait présenter un danger. Depuis l’application de cette loi, les tirs des policiers et gendarmes ont augmenté de 50%, a révélé une note interne de l’IGPN. Ce chiffre, qui place la France dans la moyenne haute des nombre de tirs en Europe, témoigne d’une imprécision de la loi par rapport à l’usage des armes avec une part d’appréciation des fonctionnaires, loin d’une science exacte. C’es aussi la question de la formation des policiers qui interroge. L’opinion publique juge sa durée insuffisante pour permettre, ensuite, une gestion optimale des multiples situations qui peuvent se présenter en cas de refus d’obtempérer. 

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