Interview : « Le phénomène des thérapies de conversion est en forte progression en France »

Mardi 5 octobre, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi issue de la majorité visant à interdire les « thérapies de conversion ». Ces pratiques prétendent changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Jean-Loup Adénor est journaliste et coauteur avec Timothée de Rauglaudre du livre « Dieu est amour ». Il a enquêté et infiltré pendant plusieurs mois ces groupes et revient sur ce qu’il a observé.

Pendant deux ans vous avez enquêté sur ce phénomène, quelles pratiques avez-vous pu observer ? 

J’ai enquêté sur des groupes chrétiens qui pratiquent ce que l’on appelle les thérapies psycho-spirituelles. Leur but est “d’essayer de guérir l’homosexualité” qui est considérée pour eux comme une déviance de l’hétérosexualité. Pour cela, ils recourent à plusieurs pratiques, comme la pseudo-psychologie par le biais de groupes de parole, d’enseignements religieux, ou de prières pour ramener la personne « vers l’hétérosexualité ». Évidemment, ce sont des pratiques qui ont des conséquences physiques et mentales pour les participants. Beaucoup d’entre eux deviennent dépressifs et ont une forte détestation d’eux-mêmes. Mais ces pratiques ne sont pas uniquement religieuses. Il y a encore quelques années, des cliniques pratiquaient des thérapies par électro-chocs.

Certaines personnes auraient subi des exorcismes…

J’ai entendu et enregistré un exorcisme subi par une femme lors de mon infiltration pendant “un stage thérapeutique d’été”. Ce sont les organisateurs, des évangélistes, eux-même qui ont employé ce terme. Ils allaient faire une prière de délivrance, donc un exorcisme. Dans le collectif de victimes de thérapies de conversion « Rien à guérir » qui s’est constitué après notre enquête, un homme a révélé avoir subi plus de huit exorcismes et qui, suite à cela, a fait une grande dépression. C’est important aussi de dire que les thérapies de conversion ne concernent pas uniquement la religion catholique. Il en existe aussi dans la religion musulmane. Une femme lesbienne est décédée d’une thérapie de conversion en Belgique dernièrement.

uN HOMME a subi plus de huit EXORCISmeS

jEAN-lOUP ADÉNOR, coAUTEUR DE “DIEU EST AMOUR”

Ces groupes progressent-ils en France ?

Malheureusement je n’ai pas de chiffre précis sur ce phénomène. Pendant notre enquête, nous nous sommes rendus compte que ces groupes avaient beaucoup essaimé en France depuis leur création dans les années 1990. Ils sont toujours en très forte progression. Leur site internet est toujours actif  et propose toujours les mêmes services.

Combien de personnes en seraient victimes ? 

J’ai vu dans l’AFP que l’association qui vient en aide aux personnes victimes de discriminations LGBT Le Refuge reçoit chaque mois des dizaines d’appels pour des cas de thérapies de conversion. Au début de notre enquête, on ne trouvait pas de témoignages, les associations nous disaient que ça n’existait pas en France. C’est pour cette raison que l’on a fait de l’infiltration. Depuis la publication de notre livre, de plus en plus de victimes se font connaître. La parole s’est libérée. 

Quelle est la réponse des autorités religieuses sur les thérapies de conversion ? 

C’est assez compliqué, au début ils ont été très embarrassés par cette enquête. Mais devant la mobilisation du collectif « Rien à guérir », ils n’ont jamais condamné officiellement ces pratiques. Ils ont continué à protéger et accueillir ces groupes dans leur communauté religieuse. La Confédération des évêques de France a par exemple refusé de participer au débat sur les thérapies de conversion à l’Assemblée nationale. Les victimes, souvent croyantes, ont vraiment besoin que les autorités religieuses condamnent fermement ces pratiques. On en est encore loin. 

L’interdiction des thérapies de conversion votée hier à l’Assemblée nationale montre-t-elle une prise de conscience ? 

La loi votée en première lecture est utile pour la prise de conscience mais moins sur la prise de conscience politique. Sans le travail de “Rien à guérir”, la loi ne serait jamais passée. On peut s’interroger aussi sur l’opportunité électoraliste de cette loi à quelques semaines de la présidentielle. L’essentiel est que la parole des victimes ait été entendue.

Propos recueillis par Emilie Dias

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