Facebook : les révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen relancent le débat sur la politique antitrust

En exhortant les parlementaires américains à réguler Facebook, Frances Haugen, ancienne salariée de l’entreprise, a mis en exergue les divisions entre partisans d’un démantèlement, d’une meilleure régulation ou du laisser-faire.

Les paroles se convertiront-elles en actes ? Ce mardi 5 octobre, en réaction aux impérieuses incitations de la lanceuse d’alerte et ancienne salariée de Facebook Frances Haugen, plusieurs sénateurs démocrates comme républicains se sont engagés à renforcer la régulation du géant du numérique. « Le secteur de la tech connaît désormais son moment de vérité saisissant, comme celui qu’a connu l’industrie du tabac » a notamment mis en garde le démocrate Richard Blumenthal.

L’allusion a de quoi faire trembler Mark Zuckerberg : les États-Unis ont mené à partir des années 1960 une véritable croisade contre la cigarette, divisant par trois le nombre de fumeurs dans le pays (42% en 1965, moins de 15% aujourd’hui). Mais, et si ces déclarations péremptoires des membres du Congrès étaient seulement de circonstance ? Les données sont effectivement le pétrole du 21e siècle, et Joe Biden, conscient de cela comme ses deux prédécesseurs, poursuit cet objectif d’affaiblir au minimum ces composantes essentielles du soft power américain que sont les GAFAM (géants du web).

Les pouvoirs publics américains marchent donc sur une ligne de crête et Frances Haugen, en les exhortant à réguler Facebook, remet un cause la politique économique menée depuis plus d’un siècle. « La culture américaine est très défiante de la régulation. Ils sont plus dans une logique de démantèlement » observe Alexandre Archambault, avocat spécialisé dans le droit du numérique et des nouvelles technologies. « Les GAFAM sont des acteurs aujourd’hui systémiques qui jouent un rôle aussi fondamental que la Standard Oil ou l’American Telephone & Telegraph (AT&T) en leur temps et qui ont été démantelés » ajoute-t-il.

Un impossible démantèlement

Les choses ont toutefois évolué aujourd’hui. D’abord, la notion de « monopole » a évolué. Le terme est soit employé au pluriel pour désigner ces entreprises du numérique, soit délaissé au profit de celui de « duopole ». Ainsi les déclarations de Mark Zuckerberg qui dit subir la concurrence de TikTok, Twitter ou Snapchat ne doivent pas cacher le fait que Facebook est bel et bien un groupe omnipotent. Ensuite, les GAFAM sont déjà présents partout dans le monde, contrairement à la Standard Oil et AT&T qui au moment où elles furent démantelées étaient simplement états-uniennes. L’éventuel démantèlement d’une entreprise comme Facebook, qui ne dépend que des décideurs politiques américains serait économiquement préjudiciable pour ces derniers.

Frances Haugen s’est d’ailleurs prononcée contre une telle mesure, qu’elle considère comme contre-productive. Dans la même perspective, la justice américaine a rejeté en juin dernier deux plaintes de la Federal Trade Commission (FTC) pour pratiques anticoncurrentielles contre Facebook. L’équivalent américain de notre Autorité de la concurrence demandait à la justice que le réseau social se sépare d’Instagram et WhatsApp. Il n’en aura rien été. « En matière économique, les juges américains sont dans une logique encore très libérale. Ils sont toujours très réticent à casser un monopole, considèrent que c’est un truc de soviétique » interprète Alexandre Archambault.

Les sénateurs américains se sont rendus compte que la logique européenne de régulation était plus efficace que la leur.

Alexandre Archambault

Vers une convergence du droit mondial en matière de numérique

Ce dernier se montre toutefois optimiste. « Les réactions des sénateurs aux révélations de Frances Haugen montrent qu’il y a une évolution du politique américain sur ces questions-là. Ils se sont rendus compte que la logique européenne de régulation était plus efficace que la leur qui a toujours été plus de l’ordre du laisser-faire. Qui se contentait des déclarations de belles intentions de Mark Zuckerberg assurant vouloir simplement connecter les gens mais faisant le minimum en ce qui concerne la modération. » L’Union européenne qui représente un marché colossal pour ces entreprises a effectivement fixé un socle d’exigences minimales à respecter en matière de transparence et de respect des données notamment. Elle s’est dotée de divers outils : le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), le Règlement général sur la protection des données (RGPD) ou encore le règlement Platform to Business.

L’adoption d’outils similaires par les pouvoirs publics américains est donc le véritable enjeu posé par les révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen. Ils y ont toujours été réticents, mais les mots forts de cette dernière, suivis de ceux des sénateurs, feront assurément évoluer les choses. « L’époque durant laquelle vous avez envahi notre vie privée, promu des contenus toxiques et utilisé des enfants et des adolescents est révolue. Le Congrès va agir » s’est insurgé contre Facebook le démocrate Ed Markey. Alexandre Archambault se réjouit de cet alignement des législateurs américains sur ceux européens. « On parle enfin le même langage. On va pouvoir converger vers un socle de mêmes exigences dans le monde qui réduira la puissance de ces entreprises ».

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