Rover Perseverance sur Mars : que nous apprennent ses dernières découvertes ?

L’étude publiée dans la revue Science – la première depuis l’atterrissage de Perseverance sur Mars – donne de multiples précisions quant à l’histoire géologique du cratère Jezero, où un lac s’était formé il y a 3,6 milliards d’années. Le planétologue Charles Frankel, planétologue revient sur cette première publication venant confirmer la pertinence de la recherche de traces de vie passée sur Mars.

EjT : Que nous apprend Science au sujet des dernières découvertes de Perseverance sur Mars ?

Charles Frankel : Quand le rover Perseverance s’est posé dans le cratère Jezero, on savait qu’il y avait là un lac il y a environ 3,6 milliards d’années. Cela correspond à l’époque où de l’eau a coulé sur Mars et c’est pour cela que Perseverance est allé là-bas. L’article de Science donne des détails sur les premières analyses de sédiments qui ont été faites. Ce que l’on fait en ce moment dans le cratère Jezero consiste à analyser les sables et les argiles du delta. L’intérêt est de caractériser la chimie de ces argiles, et de voir si on peut déterminer plus précisément quelle était la nature de l’eau, et si elle était plus ou moins salée ou acide.

Grâce à la SuperCam [une puissante caméra placée sur le mât du rover], nous pouvons observer la falaise avec une vue en coupe et analyser les différentes couches. Cela permet de retracer l’histoire du lac. Avec Perseverance, on est donc vraiment au niveau du détail, mais pour l’heure il ne s’agit pas d’une révolution sur notre connaissance de Mars. Nous ne disposons actuellement que d’une analyse photographique de loin de ces couches et d’une seule analyse chimique d’argile réalisée sur place.

EjT : Quels sont les enjeux de cette découverte et quelles hypothèses vient-elle confirmer ?

C.F. : Cette découverte était attendue mais reste très satisfaisante puisqu’elle confirme ce que l’on supposait des changements climatiques sur Mars et offre un très bel exemple photogénique du changement du climat et de l’hydrologie martienne.

L’érosion a mangé la falaise en reculant vers la source du lac, formant des restes en avant du delta. On parle en géologie de butte témoin, celle-ci s’appelle Kodiac. Cette butte est à 1 km de la sonde et l’analyse au téléobjectif permet de voir de nombreux détails, en particulier une transition climatique. En bas de la falaise, on observe une fine strate oblique alors qu’en haut, la géométrie change avec notamment de très gros gravats, témoins de crues ou d’inondations spectaculaires.

Cela laisse penser qu’à un moment donné, le climat a changé et l’eau ne coulait plus de façon pérenne dans le cratère. De la glace s’est alors formée avant de fondre de façon catastrophique par moment, entrainant de grandes inondations. Cela correspond aux connaissances climatiques que nous avions déjà sur Mars : le passage de l’aire du Noachien à l’Hespérien. Ce qui est intéressant avec cette nouvelle étude, c’est qu’on met le doigt dessus, on a un exemple concret – sans doute – de transition entre ces deux aires et le basculement vers une aire glacière sur Mars, dont la planète ne sortira plus.

Le Noachien et l’Hespérien sont les deux premières des trois grandes aires géologiques qu’a connues la planète Mars.

EjT : Cette découverte permet-elle à la communauté scientifique d’avancer sur la question d’éventuelles traces de vie passée sur Mars ?

C.F. : Pour le moment, on n’est pas encore très avancé parce que les dernières analyses datent de la sonde précédente, Curiosity, qui avait montré la présence de composés organiques, c’est-à-dire de la chimie à base de carbone. Mais attention, cela ne signifie pas « fait par le vivant ». On sait qu’il y a de la matière première carbonée vivant dans les eaux martiennes mais on n’en sait pas plus.

Ce qui est intéressant dans le delta Jezero, ce sont les argiles fines de fond de lac et les fines stratifications de bas de pente. C’est là dedans que Perseverance va chercher. Mais la question reste de savoir si on verra quelque chose au microscope parce que, scientifiquement, Perseverance n’a pas un laboratoire chimique sophistiqué. On va donc devoir se reposer sur l’image au microscope, mais la seule chose qui pourrait prouver qu’il y ait eu une forme de vie sur Mars serait de très fines stratifications ondulées dans l’argile, qui représenteraient des tapis fossilisés bactériens. À cette échelle, on ne pourra voir que la formation d’un dépôt de bactéries – on appelle cela des stromatolites – mais ça serait le graal si on trouvait ça ! Je n’ai personnellement pas grand espoir sur cette mission de ce point de vue là car il faudrait avoir une chance considérable. La probabilité que Mars nous offre de telles structures visibles à l’œil nu de sa vie primitive et que Perseverance tombe exactement dessus – parce qu’elles ne seraient pas partout – sont extrêmement faibles, mais c’est ce qu’on cherche !

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