Football : quatre questions autour du rachat de Newcastle par l’Arabie saoudite

Le Newcastle United Football club, en Angleterre, entre dans une nouvelle dimension. Racheté par un fond d’investissement saoudien, le NUFC devient l’équipe la plus riche au monde… et le nouvel outil de soft power du Royaume d’Arabie saoudite. 

Nord-est de l’Angleterre, scène de liesse jeudi 7 octobre devant le St Jame’s Park, l’antre de Newcastle. Les supporters viennent d’apprendre le rachat du club par “Public Investment Fund” (PIF), un fonds d’investissement souverain d’Arabie saoudite. Avec à sa tête Mohammed Ben Salmane (MBS), prince héritier du Royaume, et vice Premier-ministre du pays. Exit Mike Ashley, remplacé à la présidence des “Magpies” par l’homme d’affaires Yasir al-Rumayyan, directeur du fonds et très proche de MBS. 

L’actuel 19e de Premier League est désormais assis sur une fortune de 400 milliards de dollars, faisant de cette formation la plus riche au monde, devant le Paris Saint-Germain (PSG). Un premier pas dans la politique de diversification des investissements de l’Arabie saoudite, en plus d’être désormais le principal levier de “sport power” du pays. Explications.

  • Pourquoi Newcastle et pas une autre équipe ?

Les nouveaux propriétaires n’ont pas choisi cette écurie par hasard. L’équipe évolue en Premier League, championnat  le plus attractif en terme d’exposition et de revenus générés. Les “Magpies” sont aussi un club historique du championnat anglais : quatre championnats d’Angleterre, six coupes, club le plus populaire du nord-est de l’Angleterre.  Autre raison développée par Raphaël Le Magoariec, géopolitologue et spécialisé sur la question du sport dans le Golfe, les investisseurs “cherchent des clubs en perte de vitesse sportive et économique” pour les modeler à leur guise “sur le plan de l’image”. Le NUFC est relégable et sa désormais ancienne direction est décriée depuis des années, il correspond donc aux critères fixés par les repreneurs.

Newcastle pouvait aussi compter sur Amanda Staveley, une des femmes d’affaires “les plus importantes” dans le football, selon le journaliste d’investigation Romain Molina. La Britannique a ses entrées dans les cercles de pouvoir des états du Golfe, et essaye depuis 2017 de jouer les entremetteuses pour vendre les “Magpies”. Pari réussi avec l’Arabie saoudite, le PIF achète la formation pour 350 millions d’euros, et détient 80% des parts.

  • Pourquoi maintenant ?

MBS avait déjà essayé de mettre la main sur Newcastle en avril 2020, sur fond de tensions avec Doha, sans succès. Sauf que BeIn Sports, chaîne qatarie et principal diffuseur de la Premier League, reprochait à l’époque à l’Arabie saoudite de pirater sa chaîne, en diffusant illégalement ses contenus sur un média national : “BeOut”. “C’est pour ces raisons que Newcastle n’a pas été racheté l’an dernier” affirme Raphaël Le Magoariec. Accusations avérées, mais régularisées depuis, puisque la chaîne n’émet plus. Plus de raison donc pour le Qatar de s’opposer, jeudi 7 octobre, au rachat des “Magpies”.

La Premier League avait aussi invalidé le rachat de Newcastle l’an dernier parce qu’elle y voyait la main du prince héritier MBS. La ligue britannique affirme cette fois-ci avoir «l’assurance juridiquement contraignante que le Royaume d’Arabie Saoudite ne contrôlera pas le Newcastle United Football Club». Un nouveau verrou qui saute pour le PIF. “C’est une grosse blague. Le PIF, c’est Mohammed Ben Salmane, c’est son objet. C’est lui qui a donné son accord pour que ça se fasse, c’est vertical” , réagit Raphaël Le Magoariec.

  • Quelles retombées pour l’Arabie saoudite ?

Déjà propriétaire de petits clubs, comme Almeria en Espagne, le Royaume passe à la vitesse supérieure avec rachat de Newcastle, à l’instar de celui du Qatar avec le PSG ou des Emirats avec Manchester City. L’objectif est de rivaliser avec les meilleures écuries européennes et donc d’assouvir une forme de “soft-power”. Ou de “sport-power”, comme le définit Lukas Aubin, docteur en géopolitique du sport. “Le football n’est pas un créneau rentable, mais permet d’investir dans d’autres secteurs”, estime-t-il.

Les récentes polémiques émaillant le Royaume, entre l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi instiguée par MBS, et la question des droits individuels, notamment des femmes, ont fait changer d’avis le gouvernement. Le pays rentre dans une volonté récente de “normaliser son image”, mais aussi, de “diversifier leurs activités”, toujours selon le chercheur, qui remarque que “le pétrole et le gaz ne sont pas infinis”. “Le football fait oublier les problématiques internes des pays. Même s’il y a beaucoup de critiques autour du Qatar, par exemple, les gens n’y pensent pas en voyant le PSG, on place le Qatar sur une carte… ça montre que le côté positif prime, c’est une stratégie sur 50-100 ans”, estime Lukas Aubin. Pour Raphaël Le Magoariec, l’opération séduction est déjà en partie réussie, puisque “les Occidentaux sont prêts à tout pour l’arrivée des fonds d’investissements du Golfe en Europe“. En suivant le modèle du Qatar, l’Arabie saoudite entend bien s’acheter une respectabilité.

  • Quelles relations à venir avec les pays voisins ?

Les relations entre Arabie saoudite et Qatar ont toujours été très tendues, entre fermeture d’ambassade, défection du Qatar de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et embargo. Selon Raphaël Le Magoariec, l’heure est à “l’apaisement” entre ces deux pays et il pense que ce rachat n’aura “aucun impact” dans les rapports. “Il y aura seulement une course pour avoir le meilleur club”, précise-t-il.

Un avis partagé par son homologue Lukas Aubin : “J’ai davantage peur que ça attise une rivalité par clubs interposés, notamment lors des confrontations potentielles entre le PSG et Newcastle en Ligue des champions. C’est l’occasion pour les deux nations de se mesurer l’une à l’autre. C’est ce que disait George Orwell, ‘le sport c’est la guerre sans les balles’.”

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