Impôt minimal sur les entreprises : l’aboutissement d’un combat “mené depuis 30 ans”

Jeudi 7 octobre, l’Irlande et l’Estonie ont accepté de relever leurs impôts sur les sociétés afin de rejoindre l’accord mondial sur la réforme de fiscalité. Un accord majeur et très ambitieux, d’après Anne Bucher, spécialiste de l’économie européenne et coordinatrice du Think Tank Terra Nova. 

Les 139 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se réunissent vendredi 8 octobre pour finaliser les détails de la réforme fiscale des multinationales. Le principal obstacle à cet accord semble avoir été franchi la veille, jour où l’Irlande et l’Estonie ont finalement décidé de se ranger du côté des autres pays et ont accepté d’augmenter leur taux d’imposition sur les sociétés. 

La réforme, pour laquelle les discussions ont commencé en juillet dernier, prévoit en effet de mettre en place un taux de taxation minimal de 15% sur les plus grosses entreprises mondiales d’ici à 2023. L’Irlande et l’Estonie faisaient partie jusqu’à jeudi des derniers pays refusant de signer l’accord. 

EJT – Quel est l’enjeu de cet accord mondial ? 

Anne Bucher : On avait constaté que les grandes entreprises multinationales du type Starbucks ou les Gafam (géants du web) arrivaient à éviter l’impôt en enregistrant leur siège social et impôt principal dans les juridictions avec un taux de fiscalité faible, comme l’Irlande ou le Luxembourg. L’idée a été de trouver un moyen de faire contribuer les entreprises internationales à l’économie de tous les pays où elles ont des activités commerciales. L’OCDE a finalement décidé que la meilleure solution était d’établir un taux minimal de 15% d’imposition pour les multinationales réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros.

Pourquoi des pays comme l’Irlande ont-ils mis autant de temps à se rallier à l’accord ? 

L’idée d’un taux d’imposition minimal est extrêmement audacieuse, ce qui explique pourquoi c’est le point le plus débattu de cette réforme. Cela signifie que les pays n’ont plus le droit de se faire concurrence sur le taux d’imposition des sociétés. Les nations comme l’Irlande, l’Estonie ou encore le Luxembourg ont toujours refusé ce principe, car elles soutiennent que les petits pays sont peu attractifs pour les entreprises et que la seule manière qu’ils ont de faire les venir est de leur offrir des préférences fiscales.

Le débat s’est vraiment débloqué lorsque l’administration Biden a déclaré cet été vouloir créer un impôt minimal mondial sur les bénéfices de toutes les sociétés. L’Union européenne (UE), qui en a toujours rêvé, a tout de suite emboité le pas. C’est donc surtout sous la pression internationale que l’Irlande et l’Estonie ont plié. 

Vous trouvez ce taux d’imposition ambitieux, pourtant des organisation comme l’Oxfam assurent qu’il va continuer de servir les pays riches et augmenter les inégalités. Êtes-vous d’accord ?  

Oui et non. La situation à venir est meilleure que la situation actuelle, on ne peut pas le nier. En revanche, il est toujours possible d’ajouter des dérogations fiscales qui peuvent compenser la baisse d’attractivité, et je pense que c’est ce que les Irlandais ont en tête. 

Sinon, je ne pense pas que cela va augmenter les inégalités. L’Oxfam a dit que les pays du G7 récupéreraient les deux tiers des nouvelles recettes et les pays les plus pauvres seulement 3 %, ce qui est réel. Mais ça reflète le fait que la grosse partie de l’activité économique se trouve dans ces pays du G7. Ces derniers récupèrent plus d’impôts mais les autres n’en récupèrent pas moins, ce n’est pas un principe de vase communiquant.

Cette réforme est-elle profitable pour un pays comme la France ? 

La France va très probablement récupérer plus d’impôts sur les chiffres d’affaires des grandes multinationales puisque, jusque là, une entreprise payait des impôts sur ses bénéfices uniquement dans le pays où est installé son siège social. Désormais, une partie de cet impôt doit être versé aux pays qui accueillent ses activités. Autrement, sur le long terme, la concurrence fiscale va sûrement jouer en sa faveur puisque le taux d’imposition des pays va s’équilibrer autour des 15%.

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a déclaré que « l’accord fiscal international est le plus important conclu depuis un siècle ». Pensez-vous que ce soit le cas ? 

C’est une avancée énorme en effet. Mais il ne faut pas oublier tous les efforts colossaux qui ont été réalisés auparavant pour faire disparaître les paradis fiscaux. Ce n’est pas l’histoire d’un seul accord, c’est un long combat qui est mené depuis 30 ans. 

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